L’époque est celle d’un changement de vision sur l’eau
Aujourd’hui, partout en France, on prend conscience que l’eau est bien plus qu’une affaire d’hydrologie et de technologie. Penser que la technologie aura une réponse pour toutes les problématiques futures est devenu complètement illusoire. L’eau n’est pas un stock. C’est un flux qui sert des intérêts vitaux en chaine. Ne pas respecter le cycle de l’eau, c’est s’assurer des lendemains difficiles. C’est la réalité à laquelle nous devons faire face aujourd’hui. C’est la réalité d’un pays comme l’Espagne, si proche de la France.
L’eau renvoie à des choix socioéconomiques de moyen, de long et de très long termes. et in fine à des enjeux de pouvoir, qui nécessitent des arbitrages fins à la complexité multidimensionnelle. Elle nécessite de réinventer les formes de dialogues entre « acteurs-utilisateurs » pour transformer les conflits locaux en coopération territoriale et en concorde nationale. Car comme l’affirment Julie Trottier, Directrice de recherche au CNRS ou Fadi Comair, vice-président du Programme Hydrologique intergouvernemental de l’Unesco et surtout père de l’hydrodiplomatie, l’eau n’est jamais à l’origine d’une guerre ; elle peut être instrumentalisée dans des conflits, mais sa dimension essentielle et vitale force la coopération. L’accord qualifié d’historique que sept Etats de l’Ouest américain viennent de signer le lundi 22 mai 2023 pour réduire leur consommation d’eau puisée dans le fleuve Colorado et le préserver de la sécheresse en témoigne.
En France, l’eau est passée en moins de deux ans du statut de bien commun invisible, technicisé, à celui d’objet politique, laboratoire d’une démocratie locale à réinventer, ce qui constitue une rupture profonde de la représentation du rôle que joue la ressource dans nos sociétés.
Comment faire dialogue et société autour de l’eau ? Selon quelle méthode de gouvernance à partir des institutions existantes, en identifiant de nouvelles instances plus ou moins informelles ? Qui aura la légitimité d’arbitrer demain sur les enjeux de priorisation d’activités et de partage de l’eau, qui font déjà l’objet de mesures municipales d’interdiction, de contrôle de l’Etat ou d’incantation. A quelle échelle ce dialogue coopératif doit-il s’organiser ? Comment intégrer les citoyen.ne.s, concerné.e.s au premier chef par cet « objet politique » ?
L’hydrodiplomatie, ce processus de coopération interétatique autour d’enjeux hydriques érigé en méthode de gestion des conflits sur la scène internationale, peut-elle inspirer des initiatives françaises de coopération socio-économique territoriale ? Quels enseignements tirer des réussites et des échecs de ce type de démarche au Moyen Orient, en Afrique, en Inde, en Asie Mineure, en Méditerranée ? Que nous apprennent les approches en sciences sociales inductives menées en France, en Espagne, en Israël qui, sur la base d’une connaissance fine du vivant et des ressources locales, des pratiques et des demandes en eau des parties prenantes, favorisent l’émergence de collaborations territoriales ? Comment croiser harmonieusement technologies modernes et savoirs profanes, sans rejeter ni l’un ni l’autre, mais au contraire en créant une symbiose au bénéfice de l’eau ? Qu’est-ce que nous apporte d’adopter des approches par les trajectoires de l’eau (trajectoires spatiales/institutionnelles/sectorielles), telles que théorisées par Julie Trottier qui travaille depuis plus de 30 ans sur la question de l’eau et des rapports de pouvoirs ?
Sommes-nous concernés à Paris ?
Toutes ces questions sont absolument essentielles pour les années à venir, y compris pour Paris. Pourquoi ? Eau de Paris puise ses ressources en eau en dehors de la capitale et même pour certains de ses captages, en dehors de l’Ile-de-France. Aujourd’hui, les prévisions à moyen terme pour ce qui concerne la disponibilité quantitative des ressources et le système établi, autour du comité de bassin et de ses déclinaisons locales, pour gérer en commun la ressource à l’échelle du bassin versant de la Seine permettent à tous les acteurs de la gestion du cycle de l’eau d’aborder les défis à venir avec des atouts indéniables.